e ministre de l'économie, des finances et de l'emploi, Jean-Louis Borloo, est attendu de pied ferme, lundi 4 juin au Luxembourg, par ses collègues de la zone euro inquiets des intentions budgétaires de la France. Le commissaire chargé des affaires économiques et monétaires, Joaquin Almunia, va, selon ses proches, profiter de la réunion de l'Eurogroupe pour rappeler à la France ses engagements à l'égard du pacte de stabilité.
"Je ne connais pas d'exception à la validité de (ces)
normes ; elles doivent s'appliquer chaque jour", a-t-il averti vendredi 1
er juin.
Lors de sa visite à la Commission, mercredi 23 mai, Nicolas Sarkozy avait, au grand dam de M. Almunia, confirmé son intention de prendre ses distances avec les règles européennes :
"Je suis bien obligé de réfléchir à un véritable choc économique et fiscal pour que la France parte à la conquête de ce point de croissance qui lui manque", avait-il dit, demandant à être jugé
"en fin de quinquennat", soit en 2012, sur les déficits et l'endettement français. Ce discours est dans la ligne des propos de campagne de M. Sarkozy, mais il a placé la Commission en état d'alerte, à l'heure où les autorités européennes se réjouissent du bon fonctionnement du pacte depuis sa refonte au printemps 2005.
A ce titre, l'ancien gouvernement français avait promis de ramener les comptes à l'équilibre et la dette en deçà de 60 % du produit intérieur brut à l'horizon 2010. "La France ne peut pas ignorer que le pacte a été réformé, il est plus intelligent, plus souple, mais il existe des lignes rouges : en période de vaches grasses, il faut poursuivre la réduction des déficits", indique un collègue de M. Almunia. Soucieux de voir respecter le "volet préventif" du pacte, Jean-Claude Juncker, le président de l'Eurogroupe, appelle à "ne pas répéter l'erreur" qui consisterait, comme par le passé, à ne pas faire des économies en périodes de vaches grasses comme lors du boom Internet.
L'exigence vis-à-vis de Paris est d'autant plus forte que la zone euro affiche une forme inédite depuis six ans. Les treize pays de la zone euro ont enregistré au premier trimestre une croissance de 0,6 %, soit une tendance de 3 % sur un an. D'après M. Almunia, ce rythme "vigoureux" est désormais "supérieur au potentiel" de la zone. Or en dépit de ce contexte favorable, Paris rechignait déjà avant les élections à réduire d'au moins un demi-point son déficit structurel cette année, comme le lui demandait la Commission, en vertu du pacte. Et ne risque pas de rentrer dans le rang cette année : d'après le ministre du budget Eric Woerth, le déficit devrait se stabiliser aux alentours de 2,4 % en 2006, soit au niveau de l'an passé.
Les responsables européens craignent que la France ne face cavalier seul, ce qui serait de nature à fragiliser, selon eux, la crédibilité européenne du nouveau président français : "On ne peut pas réclamer une meilleure gouvernance économique et prendre ses distances à la première occasion avec le seul instrument de gouvernance collective", explique un haut responsable bruxellois. D'après les dernières estimations de la commission, début mai, le déficit moyen de la zone euro ne dépasserait pas 1 % du PIB cette année, puis 0,8 % en 2008. Surtout, l'Allemagne, qui avait fait exploser le pacte ancienne formule avec la France, a changé d'attitude sous Angela Merkel. Elle est en train de redevenir la référence à suivre.
La première puissance de la zone affiche une décrue spectaculaire de son déficit - passé en deux ans de 3,3 à 0,6 % de son PIB. Les ministres des finances devraient d'ailleurs décider, mardi 5 juin, de clore la procédure pour déficit excessif ouverte à son encontre en 2002. Et même l'Italie de Romano Prodi, qui reste avec le Portugal le seul pays encore concerné par ce dispositif, semble être en mesure de ramener son déficit sous le seuil de 3 % du PIB cette année.
Au-delà de leurs coûts pour les finances publiques, les milieux européens s'interrogent enfin sur l'opportunité de certaines mesures annoncées par Paris, pour relancer la demande. Les plus optimistes considèrent que l'élection de M. Sarkozy, et ses différentes initiatives, ont d'ores et déjà dopé le moral des particuliers. Comme lors de la nomination de Lionel Jospin au poste de premier ministre, en 1997, l'indicateur d'opinion des ménages de l'Insee a connu un bond en mai. Mais certains projets, font valoir les plus sceptiques, pourraient s'avérer contre productifs. Parmi les mesures épinglées figurent les déductions fiscales sur les intérêts d'emprunt immobilier : "Il existe sans doute des dépenses plus vertueuses", dit un commissaire : "Le vrai problème, ce n'est pas la demande, c'est l'offre, il y a besoin de rehausser l'offre des entreprises françaises dans la compétition mondiale." Beau sujet de discussion lundi soir entre M. Borloo et ses collègues.