La mobilité sociale
Le thème étudié en cours :
thème mobilité sociale 2009-2010
Comment réconcilier l'efficacité scolaire et la justice soc
Entretien avec Bernard Lahire, sociologue
Interview de Richard Descoings (Sciences Po)
Administrateur depuis juillet 2009 de la Fondation Maison des sciences de l'homme, il est aussi le Président de l'Association internationale de sociologie. Directeur d'études à l'EHESS, il y dirige le Centre d'Analyse et d'Intervention Sociologiques fondé par Alain Touraine en 1981. Il est d'autre part co-directeur des Cahiers internationaux de sociologieGeorges Balandier. avec
Sa sociologie introduit une perspective qui tient compte de la globalisation, de la construction individuelle, et de la subjectivité des acteurs. La sociologie de l'action qu'il construit depuis ses premiers travaux sur les mouvements de consommateurs dans les années 1970 l'a conduit à étudier aussi bien des mouvements sociaux que des formes sombres de la vie sociale, comme le racisme, la violence, l'antisémitisme.
POUR VOIR LES VIDEOS clique sur les liens ci dessous:
Lettre d'information du 26 mars 2010 |
Pour vous abonner à nos lettres d'information cliquez sur ce lien, pour vous désabonner cliquez ici |
|
|
|
Du lundi au jeudi, Émilie Aubry tient la chronique planétaire de l’environnement. Le fond de l'air est vert !
Conteur et marionnettiste, Yaya Coulibaly est l'hôte du lycée Victor-Hugo. Il présentera un spectacle, samedi, au Théâtre à la coque.
Entretien
Yaya Coulibaly,
conteur marionnettistes
De quel univers venez-vous ?
J'arrive de Bamako (Mali). Je suis issu d'une famille de marionnettistes originaire du royaume Bambara de Ségou. En tant qu'apprenti auprès de mon père, j'ai commencé mon initiation au coeur du monde magique des marionnettes, dès l'âge de dix ans. Ma famille est l'héritière d'une des plus vieilles collections de marionnettes au monde, avec 25 000 pièces. Mon souci est de la conserver et de l'enrichir encore par de nouvelles créations, marionnettes à fil, à tiges, portées ou marottes.
Vos marionnettes voyagent ?
Après avoir étudié à l'Institut national des arts de Bamako et à l'Institut international de la marionnette en France, j'ai formé ma propre compagnie Sogolon. C'est un ensemble de formations artistiques indépendantes qui produisent des spectacles au Mali et de par le monde. On s'inspire aussi bien des grandes épopées mandingues que des contes et légendes. Tout en abordant des sujets d'actualité comme la déforestation, le braconnage, le sida, la condition de la femme, etc.
Que faites-vous au lycée Victor-Hugo ?
J'y suis en résidence toute la semaine. Avant mon arrivée, les lycéens des premières et terminales économiques ont fait des recherches sur mon pays et monté une exposition dans le hall de l'établissement. Là, je les vois en classe. C'est un dialogue très riche, tant sur l'histoire, la géographie, les arts, l'ethnologie que la politique et l'économie. Je reste admiratif de la qualité de l'échange et c'est exceptionnel pour moi de vivre cette expérience hennebontaise. C'est une forme de coopération vraie et sensible. Ainsi, on va balayer cette image négative et fausse de l'Afrique trop souvent projetée en Europe.
Vous intervenez aussi en ville.
Oui, notamment à la médiathèque municipale, mercredi après-midi. Et, samedi, un spectacle, Le baptême du lionceau, suivi d'un débat, aura lieu au Théâtre à la coque, à 19 h. J'y présenterai Nama, cette marionnette de 150 ans que vous voyez ici. C'est une hyène, un animal calomnié.
Vous avez d'autres projets ?
Oui. Lundi, je pars à Madrid pour un séminaire international. Le projet est de développer des films de marionnettes pour les télés du monde. Cinq pays d'Afrique ont été choisis avec l'Amérique latine et l'Europe. Ensuite, ce sera une tournée mondiale, en Italie, Grèce, France et pays du Maghreb.
Contacts : www.sogolon.com. E-mail : contact@sogolon.com. Tél : 00 223 66 72 13 01. Ou joindre le centre culturel français, à Bamako.
n° | Titre | Type d'interaction |
---|---|---|
309 | Classes et lutte des classes | Qcm |
315 | Conflit et rationalité: l'analyse d'Hirschman | Texte à trou |
317 | Conflit et rationalité: l'analyse d'Olson | Etiquette |
320 | Conflit social et nouveaux mouvements sociaux | Etiquette/Texte à trou |
324 | Evolution de l'effectif et de la part des ouvriers dans la P.A. et l'emploi en France | Texte à trou |
307 | Illustration action collective et conflit social | Etiquette |
327 | Journées individuelles de grèves en France, 1952 / 2000 | Texte à trou |
329 | L'institutionnalisation des conflits du travail en France | Texte à trou |
335 | La nature du conflit de 1995 en France. | Qcm |
337 | Les conflits d'après de grands sociologues. | Texte à trou |
On vient de voir à quel point les sociétés démocratiques sont traversées par la tension entre les inégalités et l'idéal égalitaire (chapitre 3). Inutile de dire que ces tensions se traduisent bien souvent dans la réalité par des conflits. Les conflits vont donc être notre objet d'étude dans ce chapitre.
Pourquoi s'intéresser aux conflits ? A priori, on a souvent tendance à penser que les conflits ne servent à rien, qu'il vaut mieux les éviter. Ce n'est pas du tout ce que pensent les sociologues : en effet, si l'on réfléchit à la dynamique sociale, on est bien obligé de se demander comment elle se fait, et on constate en général que le changement social ne peut se faire qu'à travers des conflits. Ceux-ci ont donc une vertu essentielle : rendre le changement social possible. En effet, si l'on ne pensait pas que les changements sont possibles, ce ne serait pas la peine de se battre. Les conflits sociaux, parce qu'ils mettent les individus dans l'action, contribuent aussi à forger les identités et à développer des solidarités. La première difficulté, pour vous, dans ce chapitre est donc de devoir envisager les conflits dans un rôle positif. La deuxième difficulté sera de ne pas oublier que les relations entre changement social et conflits vont dans les deux sens : certes le changement social entraîne des conflits, mais les conflits entraînent eux aussi du changement social.
Reste dans cette introduction à définir ce que l'on appelle “ conflits sociaux ”. Un conflit social met en jeu des acteurs regroupés, il y a donc une dimension collective dans le conflit social. Ces acteurs doivent avoir entre eux des relations d'interdépendance : s'il n'y a pas ces relations entre eux, il y a peu de chance qu'il y ait un conflit car il n'y aurait pas d'objet de conflit. Ces relations d'interdépendance sont dans un rapport de domination, c'est-à -dire que la question du pouvoir est toujours essentielle dans un conflit social : les acteurs n'ont pas tous le même pouvoir et ils essaient d'user de leurs pouvoirs respectifs pour obtenir telle ou telle chose. Enfin, et bien sûr, le conflit social a toujours un enjeu – on peut gagner ou perdre, quelque chose est disputé -, un objet. Cet objet a deux aspects : un aspect matériel, celui qui est mis en avant, et un aspect plus symbolique (celui qui va “ gagner ” aura montré le pouvoir dont il disposait). On le voit, le conflit social se situe entre les tensions, qui peuvent toujours exister entre les individus, et la rupture : il suppose toujours qu'il y a une discussion possible dans le domaine concerné par le conflit, ce qui n'est pas le cas dans la rupture. Les formes d'action changent au cours du temps, de la même façon que change la façon dont la société s'organise pour résoudre les conflits.
Après avoir montré comment, depuis le 19ème siècle, les conflits sociaux ont été liés pour l'essentiel aux transformations du travail et de l'emploi, nous nous interrogerons sur les nouvelles formes des conflits sociaux aujourd'hui et nous emploierons le terme “ action collective ”. Quelle différence avec l'expression “ conflits sociaux ” ? Dans l'action collective, des individus se regroupent pour agir, mais pas forcément pour entrer en conflit directement avec un autre acteur collectif. Cela peut être pour promouvoir des idées, pour revendiquer des changements très généraux, etc… Autrement dit, les relations d'interdépendance hiérarchisées ne sont pas toujours présentes, en tout cas pas explicites. L'action collective intègre donc les conflits sociaux mais englobe aussi d'autres formes d'action.
v
Depuis que les sociétés sont entrées dans la modernité, depuis le 18ème siècle environ, l'essentiel des conflits sociaux s'est déroulé sur le terrain du travail et de l'emploi. On peut essayer de comprendre pourquoi : le travail occupe, directement ou indirectement, l'essentiel de la vie des individus, en temps d'abord (et bien plus au 19ème siècle qu'aujourd'hui) et aussi parce qu'il est à l'origine de certaines des inégalités dont nous avons parlé dans le dernier chapitre (revenus en particulier). C'est aussi dans le travail que se noue une bonne partie des relations sociales qui entourent (et intègrent) l'individu. Pour toutes ces raisons, auxquelles il faut ajouter la valeur hautement symbolique du travail, les conflits sociaux sont bien souvent nés dans le monde du travail depuis la naissance du capitalisme.
Nous allons d'abord nous demander comment, concrètement, les conflits sociaux se développent à partir de la question du travail. Puis, à travers l'étude de la classe ouvrière, nous verrons comment les conflits engendrent des classes sociales, c'est-à-dire comment le conflit agit sur la structure de la société.
Les conflits sociaux, on l'a dit plus haut, mettent en jeu des acteurs collectifs, des groupes. La mobilisation de ces groupes ne va pas de soi : comment s'entendre sur les objectifs et les moyens d'action ? Qui organise et dirige le conflit ? Nous nous interrogerons donc sur les difficultés de "l'action collective". Enfin, nous aborderons la question des syndicats et nous verrons le rôle complexe qu'ils jouent dans la gestion des conflits sociaux.
C'est la première question qu'il faut se poser : pourquoi le travail est-il une source de conflit social ? Nous allons pour cela réutiliser ce que nous avons vu dans les chapitres précédents, tant sur les inégalités que sur la division du travail - la division, c'est déjà un peu le conflit ! Mais nous verrons qu'il y a un autre facteur de conflit social, c'est ce que l'on appelle la capacité de mobilisation d'un groupe social, c'est-à -dire la capacité des individus qui le composent à agir en commun, de façon coordonnée et au profit de buts communs.
Nous avons vu dans le chapitre précédent que les sociétés modernes, et a fortiori les entreprises, sont traversées par des inégalités nombreuses qui, même si elles tendent à se réduire sur le long terme, restent encore très importantes. Il y a là un premier motif de conflit dans le monde du travail. Analysons-le plus en détail :
Les inégalités suscitent le conflit quand elles ne sont pas acceptées. C'est ce que l'on a vu dans la troisième section du chapitre précédent – vous pouvez vous y reporter. Les inégalités font partie du fonctionnement de l'économie, mais on a vu qu'il est très difficile de leur trouver une justification consensuelle. Il n'est donc pas étonnant que les avantages accordés à une personne ou à un groupe entraînent la jalousie – ou les justes récriminations ! – de ceux qui en sont privés. Les inégalités sont souvent l'enjeu des conflits sociaux : on se bat pour accroître la part des salaires dans la valeur ajoutée au détriment des profits, ou pour améliorer sa rémunération par rapport aux autres métiers de l'entreprise.
Mais les inégalités ne suffisent pas à engendrer un conflit social, parce qu'elles peuvent susciter une compétition entre les individus plutôt qu'entre les groupes. C'est une analyse somme toute assez classique et assez simple. Si un individu n'est pas satisfait de sa situation sociale, il peut l'améliorer de deux façons : soit en changeant de position dans la société en obtenant une promotion individuelle, soit en agissant pour améliorer le sort de tous ceux qui ont la même position sociale que lui – c'est-à -dire de son groupe social. Dans ce dernier cas, il y a effectivement un conflit collectif. Mais dans le premier cas, il n'y a qu'une compétition entre individus pour parvenir aux meilleures places offertes par l'entreprise ou la société. On ne peut pas parler à ce moment-là de “ conflit social ”.
La plus ou moins grande mobilité sociale entre les métiers joue aussi sur la capacité de mobilisation. S'il existe une grande fluidité entre les positions dans l'entreprise, si l'on peut facilement obtenir une promotion individuelle, alors un individu peut espérer améliorer sa situation personnelle par son seul mérite, sans agir au profit de l'ensemble de son groupe social. Mais si la mobilité sociale est faible, si les métiers restent fermés les uns aux autres, alors les revendications personnelles passeront d'autant plus par une revendication collective. C'est en substance ce que l'on a vu au chapitre 2 sur la crise du système fordiste : les OS, de plus en plus instruits (massification des études au niveau collège dans les années 60), se sont révoltés collectivement contre une organisation du travail qui ne leur laissait entrevoir aucune possibilité de promotion, qui ne témoignait guère de considération pour leurs mérites professionnels.
Vous voyez donc pourquoi les inégalités ne sont pas à elles seules la cause des conflits sociaux. Ce point-là est important, parce qu'il permet de dissiper un préjugé un peu simpliste qui associe les gros conflits aux grosses injustices. Or, ce n'est pas toujours – loin s'en faut ! – là où il y a les plus fortes inégalités qu'il y a les conflits les plus durs. Par exemple, il y a plusieurs millions de mal logés en France mais on ne les voit jamais protester.
Nous avons abondamment montré dans le chapitre 2 que les différentes organisations du travail aboutissent toujours à différencier et hiérarchiser les tâches dans l'entreprise, mais cette division horizontale et verticale du travail est aussi une division des travailleurs, donc une source de conflits potentiels. Comment passe-t-on de la division au conflit social ? Ce n'est pas si simple qu'on peut le croire. Le point essentiel est que la division du travail peut renforcer la conscience d'appartenir à un groupe social.
La division du travail entraîne la différenciation des travailleurs et donc l'émergence d'identités professionnelles distinctes. Construire son identité professionnelle, c'est revendiquer certaines appartenances, se reconnaître une certaine position dans le groupe et dans sa hiérarchie, se sentir différent d'autres individus (n'appartenant pas au groupe, en général). L'identité professionnelle, c'est aussi les valeurs partagées au sein du collectif de travail, au sein d'un métier. Ces valeurs peuvent changer en fonction de ce que l'on fait dans l'entreprise (on peut penser à la solidarité des mineurs face à la pénibilité et la dangerosité de leur métier), mais aussi en fonction de ce que l'on est (la féminisation d'un métier peut en changer les valeurs).
Les identités professionnelles deviennent facilement concurrentes dans l'entreprise. On veut dire par là que les valeurs des groupes sociaux s'opposent sur toutes les questions qui concernent l'entreprise, et au-delà la société – un peu comme une culture et une contre-culture, revoyez votre cours de première. Le premier point d'opposition est bien sûr les inégalités de rémunérations. Chaque groupe a une idée différente de la valeur des métiers, et donc des inégalités “ justes ” ou “ injustes ” – faut-il par exemple payer plus ceux qui fabriquent le produit ou ceux qui le commercialisent ? Mais l'opposition s'étend aussi à la façon de gérer l'entreprise : on l'a vu dans le cas de la fermeture des usines LU dans le nord de la France, où la logique entrepreneuriale de l'encadrement (recentrer l'activité du groupe sur les productions les plus rentables) s'opposait à la logique des salariés (maintenir les sites aussi longtemps que possible pour sauvegarder les emplois). L'affirmation d'une identité professionnelle fait donc non seulement apparaître un groupe social, mais elle lui donne aussi un adversaire.
L'organisation matérielle du travail est un autre déterminant de la construction de la conscience du groupe. Si les individus sont dispersés et travaillent séparément, sans se rencontrer, il leur sera très difficile de se coordonner pour agir. Marx expliquait ainsi au 19ème siècle que les paysans français étaient trop dispersés géographiquement pour agir, bien qu'ils aient eu matière à se révolter. Inversement, le regroupement des ouvriers dans les ateliers puis dans les grandes usines, où l'on travaille ensemble, fait la pause ensemble, mange ensemble, où l'on se rencontre en allant au travail et en repartant chez soi, a incontestablement favorisé l'organisation de la classe ouvrière. Plus près de nous, la connexion des individus sur Internet a facilité la réussite du mouvement des chercheurs, en permettant la circulation des informations, des mots d'ordre et des pétitions.
Pour qu'il y ait un conflit du travail, il faut donc qu'il y ait un conflit d'intérêt, autour des inégalités dans l'entreprise. Il faut aussi qu'il y ait des identités collectives fortement affirmées pour que le conflit prenne une dimension sociale, et oppose des groupes les uns aux autres. Enfin, il faut que ces groupes se mobilisent, c'est-à -dire que les individus qui les composent acceptent d'agir ensemble avec des objectifs communs. Mais la relation entre conflit et identité professionnelle fonctionne également dans l'autre sens. Ainsi, un conflit peut déboucher sur l'affirmation renouvelée et vivante d'une solidarité retrouvée, et donc reconstituer un groupe social. Ainsi, le conflit des infirmières, au milieu des années 90, permit à celles-ci d'affirmer et d'afficher une solidarité qui ne s'était jamais réellement exprimée jusque-là et de s'éprouver elles-mêmes comme membres d'un collectif de travail.
Dans les chapitres 2 et 3, vous avez trouvé de quoi percevoir et comprendre la réalité de l'opposition entre les ouvriers d'une part (qui représentent le travail), les dirigeants d'entreprise, les cadres et les contremaîtres d'autre part (qui représentent directement ou indirectement le capital, et donc les “capitalistes” ou bourgeois, détenteurs des capitaux). Voyons maintenant comment cette opposition au sein de l'entreprise est devenue une opposition à l'échelle de la société entière.
L'opposition entre ouvriers et bourgeoisie a pris une valeur politique. Au début du 20ème siècle, le clivage entre la gauche et la droite s'est progressivement confondu avec le clivage entre travailleurs et capitalistes. Au fur et à mesure que les ouvriers devenaient numériquement plus importants (au détriment notamment des agriculteurs, qui avaient une toute autre vision du monde), le conflit politique s'est cristallisé sur la question de la propriété, la gauche, représentant les salariés, voulant “nationaliser” le capital, c'est-à -dire exproprier les capitalistes pour qu'ils ne contrôlent plus les entreprises, et donc pour résoudre le conflit social par la disparition d'un des adversaires ! Symétriquement, la droite défendait le droit de propriété comme principe, et donc le pouvoir des actionnaires dans l'entreprise. Moins radicalement, l'enjeu politique entre la droite et la gauche était aussi l'adoption de lois et de règlements qui limitaient le pouvoir des employeurs sur les salariés (Semaine de 40h, Congés payés, Droit du travail, protection contre les licenciements, mais aussi indemnisation du chômage).
L'opposition entre ouvriers et bourgeoisie a pris une valeur culturelle. Chaque groupe a affirmé ses valeurs, et son mode de vie. La “culture ouvrière” était nourrie de la fierté du métier : essentiellement masculin, le travail ouvrier supposait souvent la force physique, des connaissances et astuces, essentiellement pratiques, qui se transmettaient au sein de l'atelier. La “culture bourgeoise” était ce qu'on appellerait aujourd'hui la culture savante, celle qu'on transmet à l'école et à l'université (littérature, musique classique, sciences, beaux-arts, …). Les loisirs des deux groupes n'étaient pas non plus les mêmes, d'ailleurs l'obtention d'un droit aux congés payés en 1936 avait une valeur conflictuelle symbolique : jusque-là les vacances étaient l'apanage de la bourgeoisie.
L'opposition entre ouvriers et bourgeois a engendré une véritable ségrégation sociale. Elle était visible dans la structure des villes, où les "quartiers ouvriers” – généralement les banlieues où la périphérie des villes – s'opposaient aux “beaux quartiers” – le centre-ville. Mais on la retrouvait aussi à l'école, puisque les enfants des classes populaires et supérieures ne fréquentaient pas les mêmes cursus scolaires. Il a fallu attendre 1975 et la création du collège unique pour que tous les écoliers suivent la même scolarité obligatoire.
On voit donc que le conflit social, initialement circonscrit à l'entreprise, s'est étendu à toute la société, ce qui justifie que l'on parle de classes sociales plutôt que de groupes sociaux, puisque les groupes ne rassemblent plus seulement, par exemple, les ouvriers d'une entreprise, mais tous les ouvriers de la société. De même, le conflit social mérite l'appellation de “lutte des classes” parce qu'il prend une valeur générale.
Karl Marx philosophe allemand du 19ème siècle (mais aussi économiste, historien, sociologue) a été un des premiers à s'intéresser aux conflits sociaux et à les analyser non pas comme le signe d'un dérèglement social, mais comme la conséquence normale du fonctionnement des sociétés. Il a aussi lié les conflits sociaux à l'organisation sociale du travail, ce qu'il appelle les “ rapports de production ”. Il est donc logique de l'évoquer à ce moment du cours. Dans la société contemporaine, le conflit social - la “ lutte des classes ” dans la terminologie marxiste - oppose les salariés et les capitalistes, propriétaires des entreprises. Le conflit d'intérêt repose sur une injustice faite aux salariés par les capitalistes – “ l'exploitation ” – et dégénère en conflit social quand les groupes s'érigent en classes sociales.
L'analyse de l'exploitation capitaliste. Les capitalistes sont ceux qui possèdent les moyens de production (machines, bâtiments, terrains), tandis que les salariés, que Marx appelle les “ prolétaires ”, ne disposent que de leur force de travail. Or, dans la société industrielle, il n'est guère possible de produire avec son seul travail. Pour vivre, les salariés sont donc obligés de louer leur travail aux capitalistes, qui s'accaparent la valeur de la production en échange du versement d'un salaire. C'est le régime du salariat. Marx pense que cette domination des salariés par les capitalistes permet à ces derniers “ d'exploiter ” les salariés, c'est-à -dire de leur verser un salaire inférieur à la valeur de la production et de garder la différence, le profit. Comment est-ce possible ? Les salariés ne sont pas en mesure de réclamer la totalité de la valeur ajoutée produite parce qu'ils ne sont pas organisés, et que l'employeur peut jouer de la concurrence entre eux. De plus, un volant perpétuel de chômage, caractéristique des sociétés industrielles (Marx l'appelle “ l'armée de réserve ” capitaliste), attise la concurrence entre les salariés : les exclus de l'emploi sont toujours prêts à accepter un salaire plus faible pour retrouver un travail et échapper à la misère. L'existence du profit est donc pour Marx la conséquence d'un rapport de force, et donc une injustice parce qu'il estime que seul le travail est source de valeur – une autre façon de dire que la productivité du capital est nulle, aspect très critiquable et très critiqué de la théorie marxiste.
La constitution des groupes en classes sociales. Il ne suffit pas d'un conflit d'intérêt pour que l'on puisse parler de conflit social, il faut encore que les individus partageant une même situation dans les rapports de production, ici les salariés, aient conscience de leur similitude et s'unissent pour revendiquer contre un ennemi commun. Ils constituent alors ce que Marx appelle une “ classe sociale ”. Cette opération n'est pas spontanée, et les conditions de travail déterminent souvent la capacité des individus à s'unir. Ainsi, Marx note que les petits paysans français du 19ème siècle, quoiqu'ayant objectivement des intérêts communs, ne constituaient pas une classe sociale parce que leur dispersion géographique et la concurrence entre eux sur les marchés ou dans l'appropriation de la terre les empêchaient de s'unir. De même, les ouvriers dans le système artisanal médiéval, qui étaient logés chez leur patron, étaient plus proches de celui-ci que des autres ouvriers et n'avaient donc pas de conscience de classe. Mais le développement des grandes usines au 19ème siècle, rassemblant de nombreux ouvriers soumis à un contrôle hiérarchique très strict, leur a fait prendre conscience de leur identité professionnelle, et l'habitude de s'opposer aux employeurs leur a révélé qu'il constituaient une classe sociale. Il leur restait alors à s'organiser en syndicats, en partis politiques, pour structurer leurs actions revendicatives et défendre leurs intérêts. De leur côté, les capitalistes procédaient de même, en se structurant en organisations patronales.
L'analyse marxiste théorise donc les conflits du travail comme source principale de conflictualité dans la société. Mieux, les conflits du travail structurent la société en groupes adverses, organisent l'identité professionnelle comme la vie politique. Cette vision de la société peut paraître pessimiste, mais Marx souligne qu'il en est de même à toutes les époques : dans l'antiquité, les maîtres dominaient les esclaves, et au moyen âge les seigneurs féodaux dominaient les paysans. Il en va de même chaque fois que la production est organisée de telle sorte qu'un groupe exerce un pouvoir sur un autre.