Tous les pays qui ont un taux de chômage deux fois moins élevé que la France ont comme point commun une très grande fluidité du marché du travail. Parmi eux, il existe néanmoins deux modèles : le
"libéral anglo-saxon" et le modèle
"social-démocrate nordique" .
Ce dernier se caractérise par les indemnités élevées dont bénéfice le salarié licencié pendant une période relativement longue, assorties d'un droit à la formation individuelle.
En revanche, la fiscalité que nécessite la mise en oeuvre de la politique sociale y est conséquente et a pour corollaire une politique d'immigration très restrictive.
Le Danemark consacre une part aussi importante de son budget à l'emploi que la France pour un nombre de chômeurs deux fois moindre, mais fonde cette logique de solidarité sur une logique ethnique qui n'appartient pas à notre tradition républicaine.
Faut-il pour autant négliger ces modèles et ne pas réduire à leur plus simple expression les règles qui régissent le droit du licenciement ? Le rapport Cahuc prône une telle solution. Le rapport Virville sollicitait la possibilité d'une rupture négociée du contrat de travail. L'objectif est de permettre à l'entreprise de s'émanciper des règles de procédure contraignantes qui imposent l'anticipation à moyen terme des licenciements économiques, dans la mesure où de telles contraintes ne seraient plus compatibles avec la compétitivité internationale.
En contrepartie d'un contrat unique à durée indéterminée dont le terme serait sans préavis, le salarié licencié recevrait une indemnisation plus importante qu'actuellement. Le système a le mérite de la cohérence, et l'exemple danois laisse penser que la "flexicurité" représente la formule magique qui réconcilie croissance économique et impératifs sociaux.
Toutefois, chaque système a sa cohérence. Ainsi, la protection du salarié français en CDI, dès lors qu'il possède une ancienneté dans l'entreprise, a pour contrepartie un salaire relativement médiocre à l'échelle européenne compensé par la capacité du salarié à négocier auprès de sa banque un emprunt à un taux d'intérêt peu élevé. L'équilibre est précaire, et toute modification substantielle nécessite un consensus social. Or il n'est pas évident que la "flexicurité" en bénéficierait.
En effet, le gain en termes de réactivité offert à l'entreprise par l'abolition de la procédure de licenciement économique est compensé pour le salarié licencié par une indemnité très élevée. Une telle rupture de contrat est équitable sous réserve que l'ensemble des entreprises et des salariés en bénéficient. Or cette solution exige des entreprises une augmentation de leurs provisions afin de financer les nouvelles indemnités. Compte tenu de la situation financière actuelle des entreprises, cela signifie que ce nouveau type de licenciement serait réservé aux grandes entreprises.
Il est vrai que ce sont elles qui subissent les plus fortes exigences de compétitivité. Mais réserver "l'autoroute du licenciement" aux seules rares entreprises privilégiées serait socialement inacceptable. Etendre cette procédure aux PME n'est possible que si la collectivité prend en charge une partie des indemnités. Le Danemark a retenu cette solution, ce qui explique en grande partie le haut niveau de sa fiscalité.
Par ailleurs, la fluidité du travail n'est en rien gage de croissance et de création d'emplois. L'exemple du segment particulier que représentent les cadres supérieurs est à ce sujet très révélateur. La rupture du contrat de travail se traduit souvent par une "enveloppe-bagage" : départ immédiat contre indemnités très élevées. Le marché de l'emploi est fluide. Pourtant, le taux de chômage des cadres s'est accru de 5,6 % à 7,1 % de la fin 2001 à mi-2004.
Un marché du travail fluide peut accélérer la croissance mais ne la provoque pas. Celle-ci est d'abord le résultat des politiques monétaire, fiscale, budgétaire. La réussite des pays anglo-saxons et scandinaves tient moins à leur politique sociale qu'à leur indépendance vis-à-vis de l'euro.
Reste que le marché du travail subit en France de forts dysfonctionnements. Il est marqué par la dualité entre deux types de contrats (CDI et CDD) et un très faible taux de licenciements économiques (2 %). Ce taux indique que les entreprises utilisent des stratégies de contournement pour éviter d'être confrontées à des procédures longues, complexes et juridiquement incertaines.
Un objectif fondamental est de redonner vie à la procédure de licenciement économique qui garantit une protection élevée aux travailleurs les plus anciens et les plus fragiles en la simplifiant afin qu'elle n'excède pas un délai raisonnable — six mois devraient être le délai standard. La concertation sociale prendrait tout son sens sur un tel objectif.
Quant à la dualité dans le monde du travail, elle est synonyme de précarité. La durée maximale d'un CDD est insuffisante pour négocier un emprunt bancaire.
Un CDD obligatoirement de trois ans, horizon prévisible d'une entreprise, à côté de contrats intérimaires n'excédant pas quatre mois, pourrait renforcer la situation des salariés en CDD, tout en offrant aux entreprises une plus grande souplesse dans la gestion des effectifs.
La dualité ne serait pas abolie mais rendue plus équitable, ce qui représente déjà un bel objectif politique.
Philippe Garabiol est rapporteur au Conseil d'Etat, maître de conférences à l'IEP de Paris.