Drame (01h31min) - Date de sortie : 05/10/2011
Avec Jean-Pierre Darroussin, Valérie Dréville
L'employé d'une banque tue deux de ses supérieurs et se remémore les événements qui l'ont amené à commettre ce meurtre...
horaire cineville 14:10 16:00 18:10 20:10 22:10
critique Télérama:
POUR
En apparence, c'est un matin comme les autres. Paul Wertret se lève sans bruit pour ne pas réveiller sa femme. Il lace ses chaussures, noue sa cravate, part au boulot. Mais ce n'est pas un matin comme les autres. Arrivé au siège de la banque qui l'emploie, Paul sort un revolver de son sac... et tire sur ses deux supérieurs. Cette séquence laisse présager un film-dossier sur les ravages de la souffrance au travail - Jean-Marc Moutout avait, dès son premier long métrage Violence des échanges en milieu tempéré (2003), pointé l'inhumanité de la gestion des ressources humaines. Mais De bon matin, c'est sa grande force, ne va jamais là où on l'attend.
Première surprise, le réalisateur s'intéresse moins aux mécanismes du harcèlement moral qu'au portrait psychologique d'un homme dont l'existence vacille. Deuxième surprise : Moutout décourage longtemps l'identification avec cet anti-héros qui, tout victime qu'il est, est loin d'être un saint. Troisième surprise - et belle audace : il confie ce personnage difficile à un acteur dont le physique débonnaire attire la sympathie. La composition de Jean-Pierre Darroussin n'en est que plus impressionnante. Entre Paul et ses persécuteurs (Xavier Beauvois et Yannick Renier, sobres et glaçants), il n'y a pas une différence de nature mais de degré. Le récit en flash-back reconstitue l'histoire d'un « cadre dynamique » modèle, rouage efficace d'un système dans lequel il a cru pendant des années. A la moindre occasion, il retrouve ses réflexes de manager, avec le discours du parfait « winner ».
Par petites touches, on découvre un homme qui s'est tant investi dans sa carrière que sa vie professionnelle a contaminé sa vie privée. La mise en scène suggère cette confusion dans un plan fixe comme une image de vidéosurveillance, où l'on voit la dispute de Paul avec sa femme (Valérie Dréville) sans l'entendre : le dialogue est étouffé par une baie vitrée qui fait écran. On dirait la banque, avec ses cloisons de verre.
La dépression de Paul est due, aussi, à une terrible prise de conscience : il n'a pas été l'homme qu'il voulait être, ni dans son travail ni dans sa fa-mille. Réfugié sur son bateau de plaisance, il téléphone à une vieille connaissance. Aux hésitations de l'un, aux silences de l'autre, on devine que ces deux-là ont été proches, que leur amitié a été trahie. Pendant plusieurs minutes, Paul essaie de réparer les dégâts commis vingt ans plus tôt. Avec maladresse et, surtout, trop tard. Toute la tristesse des illusions perdues, tout le désespoir d'une vie gâchée défile alors dans la voix étranglée de Jean-Pierre Darroussin. C'est poignant.
Samuel Douhaire
CONTRE
On sent que tous les efforts ont été faits pour éviter les pièges. Faire un film sur l'horreur économique, pas une conférence ! Parler de l'homme broyé par la machine, mais sans simplisme, ce type doit garder un mystère ! Porter le fer contre le monde du travail aujourd'hui, mais attention à ne pas sortir les banderoles ! Ni les mouchoirs pour pointer les dommages dans la cellule familiale. Beaucoup de précautions qui aboutissent à un film terriblement précautionneux. A trop vouloir le zéro défaut, Moutout a vidé son film de sa substance. Il se garde de la psychologie et de ses raccourcis, mais c'est pour aboutir à des personnages à peine lisibles : on en vient presque à se dire que le héros s'enfonce complaisamment dans son malheur...
Darroussin est un acteur génial, et c'est grâce à lui que le film ne s'effondre pas, mais Jean-Marc Moutout a beau vouloir le filmer au plus près, il ne parvient pas à donner chair à son personnage. La peur du moindre faux pas s'immisce jusque dans ces plans tirés au cordeau, ce montage au scalpel, cette forme qui fige tout. Il aurait fallu se risquer à laisser déborder quelque chose de ressenti, oser la compassion, l'emportement... Ce film aurait dû nous glacer le sang, il nous passe simplement au rouleau compresseur de la noirceur.
Frédéric Strauss